Du fétiche au tigre en papier


Gilbert Mury

Dans la conscience des travailleurs, le capitalisme monopoliste est donc tout d'abord perçu comme fatalité de la vie de tous les jours.

Le sentiment de malaise aggrave assurément un mécontentement mais celui-ci ne débouche plus directement sur la lutte.

Le sentiment que rien ne peut changer, que l'action est inefficace pèse sur le mouvement prolétarien.

Un tel sentiment n'est ni vrai ni faux.

Il faut, pour le comprendre, en revenir à ce que Marx appelle le caractère « fétiche » du capitalisme, et à la théorie du « tigre de papier » dans le sens précis que lui donne Mao Zedong.

Une tribu primitive fonctionne comme si le fétiche avait une réalité absolue.

Il est présent dans les rapports entre les êtres humains.

Tant qu'il n'est pas mis en doute, en question, il règle le fonctionnement des institutions de la tribu exactement comme pourrait le faire un dieu existant.

Mais que se passe-t-il si la loi du fétiche est transgressée. La foudre tombe-t-elle ou bien découvre-t-on avec stupeur que les dieux de pierre, de bois, n'ont aucune autre réalité à partir du moment où ils ont perdu la faculté de se faire obéir ?

Sur un autre point le tigre de papier est un fétiche, c'est-à-dire que sa puissance est énorme dans l'immédiat.

Il est un vrai tigre pour ceux qui l'approchent aujourd'hui et pourtant il est incapable de se défendre à long terme et de survivre indéfiniment contre la pression de ses adversaires.

Bien entendu, il dispose des forces de répression, mais derrière cette possibilité d'exercer la violence, la contrainte, la terreur, ne se cache aucune des forces mystérieuses auxquelles nous croyons.

Ce n'est là sans doute qu'un aspect de la théorie du fétiche, et de celle du tigre en papier.

Il reste que l'importance est ainsi attirée sur l'urgence révolutionnaire d'en finir avec les vieilles idées, les vieilles habitudes, les vieilles coutumes, les vieilles façons de sentir et de vivre.

S'agit-il d'une révolution culturelle ? Oui.

Même si le terme de révolution culturelle ne peut être mécaniquement transporté d'un type de société à l'autre, l'action révolutionnaire dans les pays capitalistes ne s'en situe pas moins sur le plan des habitudes, des sentiments, des représentations qui accompagnent l'expérience quotidienne de la vie et qui, si elles demeurent conformes aux exigences de la bourgeoisie, font obstacle au développement de l'action politique.

L'influence de la Révolution culturelle en Chine sur les événements de Mai est incontestable, la ressemblance est nécessairement limitée lorsque l'on passe d'un cadre socialiste à un cadre capitaliste.