Histoire du Parti Communiste français

 

 


Les années du tournant (1931-1934)
et le Front Populaire (1934-1938)

" Il ne s'agit pas aujourd'hui de fascisme ou de démocratie bourgeoise, mais de dictature de la bourgeoisie ou de dictature du prolétariat (…). Un pacte avec les alliés de l'ennemi de classe est un pacte avec l'ennemi de classe " (PC de France, d'Allemagne et de Grande-Bretagne, Texte de l'Humanité du 13 février 1933).

Les années 1931, 1932 et 1933 sont décisives ; c'est là que se décide l'avenir du PCF, et plus précisément ce qui sera sa direction pour les vingt années à venir.
Deux membres du PCF vont en effet s'affronter, représentant deux lignes différentes : Thorez et Doriot.
Thorez est celui qui lance une grande vague d'autocritiques dans le PCF. En août 1931 il publie des articles dans l'Humanité : " Le congrès de la CGT-U ", " La Démocratie syndicale ", " Pas de mannequin [dans le Parti] " et " [Que] Les bouches s'ouvrent ".

Thorez, né en 1900, s'est imposé comme jeune leader du PCF. Membre à 20 ans du parti socialiste, partisan de la IIIème Internationale, il adopte par la suite les thèses de Souvarine, qu'il récusera par la suite.
Souvent condamné par la justice, responsable du PCF par la suite, il passe dans la clandestinité, se fait arrêter, et est libéré grâce au paiement d'une amende, contre la ligne de l'I.C.

Il devient le chef du PCF en 1931, mais sous étroite surveillance de l'I.C., qui n'a pas confiance en lui. Il se fera convoquer à Moscou en 1934, et durement critiquer.

Jacques Doriot, né en 1898, a été lui aussi est un cadre fidèle de l'I.C., jusqu'aux années 1927-1928.

Il commence alors à prendre le large avec les décisions du Parti, et prône une alliance avec la SFIO dans un souci antifasciste. Après une série de coups d'éclats (appel à une manifestation de sa section de St-Denis en commun avec la SFIO, entre autres), il est convoqué à Moscou avec Thorez, mais n'y va pas. Il est réélu maire de St-Denis contre le PCF, et expulsé.

Thorez maître des lieux en 1934 appliquera alors la politique que voulait mener Doriot : l'unité antifasciste sans la prépondérance du PCF.

Doriot deviendra un leader fasciste, et tombera en Allemagne en 1945, après avoir notamment été décoré de la croix de fer et participé à la fondation de la " Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme ".

Les années 1931-1934 sont donc celles de l'avènement d'un nouveau leader, Thorez, qui applique mécaniquement les politiques élaborées par l'I.C., dans un pays où les " Questions du léninisme " de Staline, ouvrage de base du bolchévik, n'ont été diffusé jusqu'en août 1932 qu'à 1610 exemplaires, dont on ne sait même pas combien ont été acheté par des membres du Parti…

Cette même année 1932, le Parti perd 279.000 voix, tombant à 6,8% des suffrages exprimés.
L'Internationale Communiste ne cesse de se poser des questions sur le cas français, et de mettre en avant des solutions que le PCF fait à chaque fois semblant d'accepter.

Un rapport fait à l'I.C. par Piatnitski constate (toujours en 1932) que " si l'on considère l'importance que les problèmes posés devant le PCF prennent en liaison avec l'importance que l'impérialisme français a pour le mouvement révolutionnaire ouvrier et paysan du monde entier (la France, en effet, étouffe l'Allemagne, ses propres colonies, encercle l'URSS, en vue d'une intervention militaire par l'intermédiaire de ses vassaux :Tchécoslovaquie, Roumanie, Pologne, etc.), il faut constater que le PCF n'avance pas, mais, bien au contraire, retarde plus que les autres sections (…).

Le retard du PCF s'exprime cependant dans tout le travail du Parti et des syndicats rouges, et cela malgré l'aide constante apportée par l'Internationale Communiste et l'Internationale Syndicale Rouge (…). Le Parti n'a pas mené la lutte contre les partis social-démocrate et pupiste [Parti d'Unité Prolétarienne] bien que le Comité Exécutif de l'I.C. en ait vigoureusement souligné l'importance ".

L'I.C. multiplie ses critiques. Thorez, lui, ouvre de plus en plus les relations avec la SFIO, qui refuse à chaque fois les initiatives proposées, refusant la prépondérance de fait du PCF. L'émeute fasciste du 6 février 1934 va alors être décisive.

Car alors la pression populaire est telle que PCF et SFIO sont forcés de travailler ensemble. Thorez, après avoir attaqué de manière gauchiste la social-démocratie tout en appelant au même temps au front unique, va désormais se ranger derrière les initiatives de la SFIO. Un " pacte " est effectué, exigeant principalement le désarmement et la dissolution des milices fascistes, la défense des libertés démocratiques, l'arrêt des préparatifs de guerre, la libération des antifascistes d'Allemagne et d'Autriche. Le journal Le Temps écrit à ce sujet le 30 juillet 1934 : " Le pacte socialo-communiste clarifie la situation politique, puisqu'il unit désormais les adversaires de la démocratie républicaine, les partisans de la dictature du prolétariat, c'est-à-dire du fascisme rouge ".
En pratique, le PCF a abandonné le principe voulant que les communistes soient à la tête des fronts.
Thorez dit : " nous jetons l'idée d'un vaste rassemblement populaire pour le pain, pour la liberté et pour la paix. A tout prix, pour battre le fascisme, constituons un large Front populaire ".

Il ne s'agit plus désormais de neutraliser les classes moyennes, mais de s'allier avec elles. Dans le texte de 128 pages intitulé " L'Union de la Nation française ", Thorez résumera cette stratégie : " C'est une application des principes de Marx et de Lénine sur l'alliance jusqu'au bout de la classe ouvrière et des classes moyennes, non seulement pour vaincre le fascisme mais pour mettre un terme à l'exploitation du Capital ".

Ainsi, à l'avant-veille du scrutin de 1935, l'Humanité titre: " Pour l'ordre, votez communiste ! ".
Le Parti radical est qualifié de " plus grand des partis… celui qui exerce la plus grande influence sur la vie politique du pays ".

Thorez dit également : " Nous te tendons la main, catholique, ouvrier, employé, artisan, paysan, nous qui sommes des laïques, parce que tu es notre frère, et que tu es comme nous nous accablé par les mêmes soucis.

Nous te tendons la main, volontaire national, ancien combattant devenu croix-de-feu, parce que tu es un fils de notre peuple, que tu souffres comme nous du désordre et de la corruption, parce que tu veux, comme nous, éviter que le pays ne glisse à la ruine et à la catastrophe".

Le 14 juillet 1935, dans un discours, Jacques Duclos revendique l'héritage double de 1789 et de 1917, du drapeau tricolore et du drapeau rouge, de la Marseillaise et de l'Internationale.

En avril 1936, Thorez parle de réconciliation entre " le drapeau tricolore de nos pères et le drapeau rouge de nos espérances " et inaugure à Ivry la statue de Rouget de l'Isle. Plus tard il considérera les communautés religieuses d'ordre monastique du Moyen-Âge comme des "groupements communistes d'intention, de fait et d'action" !

Le résultat en 1936 est évident : le Parti a énormément augmenté ses effectifs (71.000 désormais), il obtient 15,4% des voix (12,6% des inscrits).
Il a le prestige d'être membre du Front populaire, même s'il ne rentre pas au gouvernement.

Mais le Parti a perdu sa ligne, au profit d'une politique révisionniste. Il tente d'influer " de l'extérieur " sur le pouvoir (Thorez en 1934-1936 : " Nous n'avons pas de ministres, mais nous avons le ministère des masses ").
Il adopte un discours général populiste et bourgeois (" C'est une fois de plus la France démocratique, la France de 1789, devenue la France du Front Populaire, qui va guider les peuples de l'Europe dans la voie du progrès, de la liberté et de la paix ").

Il s'est opposé au mouvement de grève de 1936, pesant de tout son poids pour la stopper. Ainsi le 11 juin 1936, dans un discours à Paris, Thorez dit qu'" Il n'est pas question de prendre le pouvoir actuellement ", et qu'" il faut savoir terminer [une grève] dès que satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compromis".

De plus, la CGT et la CGT-U se sont réunifiées sur une base bancale, le congrès se prononçant pour l'incompatibilité entre mandats syndicaux et exercice de hautes responsabilité politiques.

Le PCF est désormais à la traîne de la social-démocratie, dans une période mondiale critique. Le seul aspect positif provient de l'activité de l'I.C., à savoir l'internationalisme par rapport à l'Espagne républicaine.
La position du PCF est définie par Thorez : " Le Parti Communiste estime que la politique extérieure du gouvernement s'écarte du programme du Front Populaire, que le blocus de l'Espagne républicaine est contraire aux intérêts de la paix et de la démocratie et à la sécurité du pays (…). C'est seulement par souci de la cohésion du Front populaire que nous ne voterons pas contre cette politique ".

Dès octobre 1936 des bataillons de brigades internationales sont formées (Commune de Paris, Louise Michel, Six février, Henri Barbusse..). Environ 10.000 des 40.000 volontaires étaient français.



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