Soutenons la diffusion du livre de Nicolas Genka, " l’épi monstre ", livre interdit par la bourgeoisie !

Article paru dans Front Social

" Ce n’est pas assez de regarder vivre ses héros et des les plaindre. Nous devons prendre leurs péchés sur nous et en subir les conséquences " (Jean Genet).

Imaginez cela : un livre paru en 1961, interdit de diffusion depuis. Ce n’est que maintenant, en 1999, qu’il reparaît, et encore uniquement parce que l’éditeur est courageux.


L’origine de l’ouvrage et l’interdiction étatique

Nicolas Genka revient d’Algérie, où la guerre fait rage. Il écrit un livre, l’épi monstre, qui sera refusé par 13 éditeurs. En décembre 1961, Christian Bourgois, directeur littéraire chez Julliard, décide de le publier. Pour " faciliter " la publication, Jean Cocteau lui décerne un prix spécial, celui des " enfants terribles Jean Cocteau ".

Le livre connaît de grandes ventes, des auteurs comme Pasolini, Mishima veulent le traduire dans leur pays. La naissance d’un nouvel auteur critique, dans la lignée de Jean Genet ?

Non, l’Etat intervient en interdisant le livre en juillet 1962. Les éditions révolutionnaires Maspéro tenteront l’année d’après de le vendre illégalement : les ouvrages seront confisqués et mis au pilon.

Le second livre de l’auteur, Jeanne la pudeur, est interdit à sa parution en 1964. La presse de droite se déchaîne contre l’auteur, sa maison de famille du Finistère est détruite par des " inconnus ". Depuis 1962, toutes les demandes de levée de la censure ont été refusées par le ministère de l’intérieur, ainsi que ceux de la culture et de la justice. Le dernier en date à avoir refusé est Chevenement en 1997. Pas très étonnant n’est-ce pas… Mais de quoi parle l’épi monstre, en fait ?


L’épi monstre, description réaliste

et terrifiante de la France profonde

Le livre est tout sauf fade, et il est réaliste. Au sens où Friedrich Engels disait que " le réalisme suppose, outre l’exactitude des détails, la représentation exacte des caractères typiques dans des circonstances typiques ".

Nicolas Genka nous parle de personnages typiques, vivant à la campagne, dans une atmosphère sociale lourde, propre à la France profonde. Les circonstances sont également typiques : l’inceste.

L’œuvre n’est pourtant pas sexuelle : pas de description à la Sade, pas de vocabulaire pornographique.

Mais c’est tout de même un brûlot, une œuvre littéraire réaliste au plus haut point, montrant la brutalité de l’oppression d’un milieu social, et montrant comment les valeurs révolutionnaires s’expriment péniblement, difficilement, avec plein d’ambiguïté.

Parlant de la préface de son livre et de la difficulté qu’il y a eu de l’écrire à l’époque (68 n’a pas encore eu lieu), Nicolas Genka nous dit que " l’ordre moral sévit en France et le livre annonce la révolution, désigne les lauréats de cette révolution, les homosexuels, les toxicomanes, les prostituées".

Au-delà du contexte même, au-delà du contenu même du livre, c’est la dialectique révolutionnaire qui en ressort – aliénation, oppression, tentative de libération de l’oppression à partir d’une conscience encore aliénée. C’est pour cela que l’Etat a frappé.


La répression de l’Etat bourgeois

L’interdiction de l’épi monstre ne doit donc pas étonner. Avant mai 1968, l’Etat bourgeois a tout fait pour enfermer la population dans une misère sexuelle typiquement bourgeoise dans le refoulé.

Le " petit livre rouge des écoliers et lycéens " avait également été poursuivi en justice, pour avoir expliqué la sexualité aux jeunes.

Sans même parler dans un autre " registre " de l’interdiction du " manuel du guérillero urbain " du brésilien Marighella.

Ce qui frappe, c’est que l’Etat bourgeois n’ait jamais levé l’interdiction de l’épi monstre. Il est vrai que les interdictions des œuvres politiques n’ont jamais été levé, mais ce qui ressort c’est qu’ici une œuvre littéraire a directement été considéré comme politique.

Le prétexte de l’accusation faite contre Genka – le roman serait autobiographique par rapport à sa sœur – ne tient pas dans une société bourgeoise reconnaissant n’importe quelle production " culturelle ".

Il saute aux yeux que l’ouvrage de Genka a été considéré comme politique. Et pas seulement politique : l’épi monstre est également une œuvre littéraire, à l’opposé d’un texte seulement politique comme " violence et brutalité " de Jean Genet. Cela signifie que l’ouvrage de Genka est une œuvre littéraire révolutionnaire, et que c’est cette nature qui a été attaqué par l’Etat bourgeois.

La question de la culture révolutionnaire

L’œuvre de Nicolas Genka vient à temps : elle apparaît au moment où la société bourgeoise pensait s’être définitivement débarrassée de la littérature révolutionnaire. Bien sûr, on ne parle pas de l’épi monstre dans tous les journaux ; quant on en parle, c’est pour un petit article critiquant de manière libérale la position étatique, pour une affirmation du genre : " de toute façon personne ne le lira et cela n’a pas d’importance, pas d’impact ".

Nous, révolutionnaires, savons que cela n’est pas le cas. Nous savons que la subversion peut exister, même si elle met du temps à se construire.

Et nous savons que la réalité de la société de demain existe dès aujourd’hui, malgré la bourgeoisie elle-même.

Ou comme le dit Engels : " le fait que Balzac ait été ainsi contraint à agir contre ses propres sympathies de classe et contre ses préjugés politiques, qu’il ait reconnu le caractère irréversible de ses chers aristocrates et qu’il les ait représentés comme des hommes qui ne méritaient pas un sort meilleur, qu’il ait vu les hommes de l’avenir là où il était seul possible de les trouver, voilà ce que je considère comme un des plus grands triomphes du réalisme et un des traits les plus grandioses du vieux Balzac " (Lettre à Miss Harkness, avril 1888).

Il n’est pas encore possible de parler véritablement de l’épi monstre : une telle œuvre doit être comprise en profondeur, et non pas à court terme. Cela signifie s’y confronter, afin de faire le tour de cette société bourgeoise et de la renverser.


Le style littéraire

" T’es un con, Guillaut, t’es un con, laisse-moi dégueuler, r’garde ma tête ! " - " Morfay, t’es un homme toi, t’es un champion, t’es instruit, j’voudrais être ton gendre ". Et la voix terrifiante, le chœur de l’hydre : " T’as plus rien à boire ? Donne à boire ou j’fais un malheur ! Maudaaa ? Maudaaa ? ".

Il n’y pas à dire, après avoir vécu la coupe du monde de football, cela fait du bien de lire une œuvre où toute la médiocrité du beauf est montré dans toute sa vérité, dans son essence même, dans sa nature réactionnaire. Cela change de la version officielle du joyeux supporter au cœur patriote et tendre.

Bien sûr le style de l’œuvre n’est pas forcément évident, c’est lisible mais trouble, tellement riche que l’on arrive dans une vision extrêmement personnelle, ce qui fera que cela plaira énormément à certainEs, tandis que d’autres trouveront certains passages obtus, peu clairs voire carrément obscure.

Dans tous les cas c’est à essayer ; c’est tellement vivifiant que de se confronter à une expérience humaine dé-montrée si " naturellement ". On s’éloigne un peu de l’aliénation du quotidien, si difficilement compréhensible, pour arriver dans une réalité que l’on comprend, que l’on saisit, que l’on vit sans vivre à ceci près que la liberté est possible. Le livre fermé, on se sent soulagé, et c’est là qu’on comprend que l’œuvre de Genka révèle un aspect de la vie que le système fait tout pour nous cacher.

Il ne faut donc pas avoir peur d’affronter le style de l’auteur, bien faire attention à la démonstration faire, plus qu’à la méthode employée (même si celle-ci reste un sujet de débat très intéressant pour une littérature non subordonnée aux valeurs d’oppression).


Le style

Genka n’est pas assimilable à d’autres par une seule œuvre, mais force est de constater que cela rappelle des auteurs qui sont une référence pour la pensée de la subversion.

Ainsi, Pasolini, Genet, dans une certaine mesure Mishima (qui lui n’avait pas vu le bon camp) sont des ombres parallèles, des mondes qui ne sont pas loin et qui elles aussi frappent les lecteurs / lectrices de par la réalité qui se dégage, par la différence qui existe dans le roman et qui pourrait exister dans sa propre vie.

A nous de faire qu’une réflexion révolutionnaire quant à la littérature reparte, grâce à l’existence de l’œuvre de Genka. Ceci afin qu’une nouvelle " production " culturelle se manifeste, montrant l’existence possible du communisme, de vies qui fracassent en un miroir brisé les personnalités asservies par le système, le capitalisme, le racisme, le sexisme.

L’Epi monstre pourrait être liquidé comme misérabilisme.

Tel n’est pourtant pas le cas. La dimension du système doit toujours nous faire rappeler qu’il n’est pas aisé pour l’individu de le contredire et de chercher ce qui peut être si nous la faisons, cette fameuse révolution…

L’épi monstre est aux éditions Exils, 2 rue du regard, Paris 6ème (tél.01.45.48.24.12).