Le (nouveau) Parti Communiste italien

Article paru dans Front Social

L'Italie est un des pays mythiques du communisme. Si des Partis Communistes se sont fondés dans tous les pays d'Europe, bien peu ont connu le prestige du PC d'Allemagne et du PC d'Italie.

Quel communiste n'a pas entendu parler d'Antonio Gramsci ?

C'est cette qualité du mouvement communiste en Italie qui a fait que, à la différence de la France, où la formation et le développement du Parti Communiste cachait une superficialité théorique et une logique révisionniste vite triomphante, les avant-gardes d'Italie ont su regagner la confiance des masses dans les années 1960/1970, amenant la formation de grandes organisations : Potere Operaio, Lotta Continua, et bien évidemment les Brigades Rouges.

L'aboutissement d'un processus

Aujourd'hui, la situation en Italie n'est pas forcément très différente de celle d'en France, mais l'histoire du mouvement est toute autre, la qualité de l'avant-garde aussi.

C'est pourquoi il n'est pas étonnant de voir que s'est formée une " Commission Préparatoire du Congrès de fondation du (nouveau) Parti Communiste Italien ".

En clair, cela signifie que les camarades d'Italie affirment qu'ils/elles ont suffisamment avancé pour former le Parti de la révolution, pour commencer un travail de politique révolutionnaire sur de bases solides.

De fait, la Commission Préparatoire n'est pas tombée du ciel ; elle est issue d'un long travail d'étude de la société italienne et des mécanismes de la crise économique capitaliste, le tout lié à la pratique politique d'agitation et de propagande révolutionnaire.

La publication d'une revue, " La Voce del (n)PCI " (" La voix du n(PCI "), est donc l'aboutissement d'une orientation politique initiale : celle visant à reconstituer/reconstruire le Parti Communiste.

On retrouve dans " La Voce ", fondée et organisée par la Commission, les travaux et documents de celle-ci, les travaux et contributions des organisations du Parti à fonder, les contributions des individus et collectifs quant à l'élaboration du programme et des statuts.

Le rejet du spontanéisme et du révisionnisme

Les camarades ayant décidé d'initier la formation de la Commission partent des principes du léninisme, de la nécessité du Parti.

Se faisant, ils/elles se coupent des tendances refusant l'idée de Parti, par spontanéisme ou par liquidation des principes essentiels de la révolution.

Ainsi, le " Mouvement Prolétaire Anticapitaliste ", existant notamment à Rome et Milan, d'obédience castriste/guévariste, récuse la notion de Parti et développe le thème petit-bourgeois des " marxismes " au pluriel, et les "communistes auto-organisés " ont jeté par-dessus bord la notion de dictature du prolétariat.

Mais ce n'est pas tout. En prônant la nécessité du Parti, les camarades mettent également en avant le style et la substance de ce Parti.

Cela a amené la publication d'un pavé intitulé " Martin Lutero ossia la trascrizione in volgare del Comunicato del 20 maggio '99 ". En français : Martin Luther ose la traduction en langue vulgaire du communiqué du 20 mai '99.

Il s'agit bien entendu du communiqué de l'action des Brigades Rouges pour la construction du Parti Communiste Combattant (br-pcc).

Le Parti Communiste d'Espagne (Reconstitué) a critiqué violemment cette action, car selon lui cela s'oppose directement au travail de la Commission, qui est de clarifier la situation, d'élaborer un programme, un axe de travail.
Le document de " traduction en langue vulgaire " consiste en une critique méthodique, point par point, des affirmations des br-pcc (le texte des br-pcc est repris entièrement, le commentaire suivant le dit texte).

Pour l'auteur du texte, les br-pcc sont complètement subjectivistes.

Elles snobent toutes les questions historiques et tout le patrimoine politique du mouvement communiste, pour réduire leur pensée politique à des concepts sans fondements concrets : concertation néo-corporatiste, autonomie de classe, attaque au cœur de l'Etat, bourgeoisie impérialiste, Parti Communiste Combattant.

De fait, les br-pcc ayant mené l'action se sont constituées à partir des " Noyaux Communistes Combattants pour la construction du Parti Communiste Combattant ", et leur texte généralise les déviations gauchistes accumulées par les br-pcc au cours des années 1980.

Une critique acerbe des br-pcc

Pour la Commission, les br-pcc sont complètement à côté de la plaque en niant les contradictions inter-impérialistes, en faisant de l'impérialisme un bloc unifié.

Ce qui est juste : il suffit de voir l'opposition entre les USA et la France en Afrique.

Mais la critique des br-pcc va bien plus loin que cet aspect de l'idéologie brigadiste.

Ce qui est critiqué, c'est la revendication de la nécessité d'une Organisation Communiste Combattante (OCC), car selon l'auteur de la critique il n'y a plus les conditions requises pour permettre son existence. Une preuve pour cela est que le communiqué brigadiste ne parle pas du débat actuel au sein des avant-gardes, résumant son action à une proposition stratégique (se heurtant de front avec celle de la constitution du n(pci), d'où l'énervement du PCE[r]).

L'erreur des br-pcc consiste en fait en ce qu'elles auraient une conception blanquiste de l'organisation- un parti secret- et une perspective anarcho-syndicaliste de la lutte de classe- avec le concept d'autonomie de classe.

Sans polémiquer quant au contenu historique apporté par les br-pcc, force est de constater que chez les nouvelles br-pcc, la critique peut sembler juste.

La signification de la formation du (n)PCI :
assumer la théorie, rejeter le populisme

Comme le sait chacunE qui a un tant soit peu étudié la théorie marxiste, un devient deux, et ce qui se passe en Italie est une ligne entre deux lignes, entre le populisme et le communisme, entre le practicisme et la pratique issue du travail théorique et de l'enquête, entre le schématisme subjectiviste et le maoïsme.

Les nouvelles br-pcc n'ont pas su assumer leur patrimoine historique en menant un saut qualitatif ; elles ont justifié leur réapparition par le joker classique de la " non continuité linéaire du processus révolutionnaire ".

Même si l'on admet la justesse de cette thèse, on est en droit d'attendre une explication démonstrative. La raf a fait une telle démonstration- cela a signifié son auto-dissolution, mais au moins elle s'est placée dans l'histoire.

En reproposant les schémas des br-pcc des années 1970/1980 de manière dogmatique voire franchement schématique, les nouvelles br-pcc ne pouvaient qu'amener de fortes critiques soucieuses de toutes les questions oubliées par elles au nom de la logique politico-militaire.

L'ambiguïté de la ligne fondatrice du futur n(PCI)
Tout serait bien trop simple si le futur (n)PCI assurait totalement.

Car les problèmes idéologiques de la Commission sont assez nombreux, et d'importance. Ainsi, l'idéologie revendiquée est le maoïsme.

Mais, et c'est en contradiction absolue avec le maoïsme, l'URSS et les pays de l'Est européen des années 80, la Chine, sont qualifiées de " pays socialistes ". La Commission critique les br-pcc pour ne pas prêter attention à la ligne et au développement du mouvement communiste international, mais ici, la faille est de taille !

Alors que pour tous les partis maoïstes dans le monde, l'URSS est devenue un social-impérialisme à partir de Kroutchev, pour la Commission... rien de tout cela.

Le fond de l'ambiguïté réside en fait dans une référence fondamentale du courant idéologique amenant la formation de la Commission : le PCE[r].

Le Parti Communiste d'Espagne [reconstitué], qui appuie les GRAPO [Groupes de Résistance Antifasciste du Premier Octobre], est marxiste-léniniste, et anti-maoïste. Il considère Mao comme un camarade, mais refuse sa critique de Staline et ses apports philosophiques, comme on peut le lire dans sa revue théorique, Antorcha.

La Commission, qui se veut maoïste orthodoxe, est ainsi obligée de jongler entre la ligne du PCE[r] et le maoïsme, entre marxisme-léninisme version années 70 (pro-albanais et pro-chinois en même temps) et marxisme-léninisme-maoïsme.

Autre problème, de taille également celui-là. Pour les maoïstes, la référence est bien sûr le Parti Communiste du Pérou.

Il est évident que les gens de la Commission ont lu des documents du PC du Pérou ; d'ailleurs, la théorie des deux lignes (se développant dans le Parti) est acceptée, ce qui est une caractéristique idéologique du maoïsme, et montre la qualité de la Commission.

Mais, et c'est étrange il n'y a aucun mot sur le principe de la " pensée guide ".

Pour le PCP, le maoïsme est la théorie universelle, et dans chaque pays il doit y avoir une application particulière, adaptée aux conditions concrètes, en accord avec les principes universels.

Au Pérou, la ligne est le maoïsme pensée Gonzalo ; en Turquie, les camarades se référent aux travaux d'Ibrahim Kaypakkaya, en Inde à ceux de Charum Mazumdar.

Que dit la Commission à ce sujet ? Rien. Que dit le PCE[r] à propos du principe de la " pensée " ? Beaucoup de critiques (assassines, comme il se doit).

La Commission doit donc jongler : d'un côté le maoïsme comme thèse générale, de l'autre les questions de l'application concrète dont les réponses sont censées être dans le maoïsme comme thèse.

En " oubliant " la question de la pensée, expression de l'application concrète du maoïsme dans les conditions concrètes d'un pays donné, le futur (n)PCI fait l'impasse sur une notion pratique essentielle.
La tendance au schématisme et à une logique mécanique est donc grande.

La question du bilan :
repartir des brigades rouges ou faire du neuf ?

La question du refus de la " pensée guide " amène un grand problème au niveau du bilan. Historiquement, le maoïsme est né dans les années 1960/1970, à partir d'une rupture avec le révisionnisme pro-soviétique grâce à l'activité de groupes et de théoriciens.

Nous avons cité quelques uns de ces théoriciens : Kaypakkaya en Turquie, Mazumdar en Inde, etc.

A chaque fois, après la destruction des premiers groupes maoïstes, il y a eu une reconstruction plus ou mois rapide : le PC de Turquie (Marxiste-Léniniste) de Kaypakkaya s'est ainsi refondé assez vite, au Népal cela fut plus problématique.

Que dit la Commission au sujet de cette rupture historique des années 1970 en Italie ?

Qu'elle a été insuffisante, qu'il faut donc repartir sur de nouvelles bases, en rejetant l'identité des groupes du passé.

Est-ce vrai ? Les Brigades Rouges ont-elles été un produit mécanique de la lutte de la classe ouvrière ?

N'ont-elles pas été l'expression de la lutte pour le communisme à ce moment là ? N'ont-elles pas fait des avancées au niveau théorique et pratique (guérilla métropolitaine, attaque au coeur de l'Etat, autonomie de classe, etc.) ?

Nous ne saurions répondre à cette question : c'est aux camarades d'Italie de le faire et de reconnaître leur patrimoine.

Ce qui est vrai, c'est que comme en France, les dirigeants historiques des BR ont dévié du communisme.

Et que si les camarades de la Commission ont raison, cela veut dire pour nous en France : non pas repartir de la Gauche Prolétarienne en modifiant ce qui a été faux, mais changer toute la matrice. Et cela voudrait dire pour les camarades d'Allemagne : non pas repartir de la RAF en modifiant ce qui était faux, mais tout refaire.

En effet : la Gauche Prolétarienne, la RAF, ainsi qu'en partie les BR, ont fait des erreurs théoriques importantes : la GP était pro-chinoise sans réfléchir, la RAF estimait positivement le social-impérialisme soviétique, les BR ont inventé un super-impérialisme des " Etats impérialistes des Multinationales ".

Mais faut-il jeter le bébé avec l'eau du bain ? Est-il juste de rejeter ces formations politiques qui ont été les meilleures dans leurs pays respectifs ?

N'y a-t-il rien à apprendre, et faut-il retomber dans la solution idéologique " pure " à la Enver Hodja : " il faut construire le Parti " ?

Et Rossoperaio ?

Puisque nous parlons du maoïsme en Italie, nous nous devons de mentionner Rossoperaio (l'ouvrier-rouge), petit groupe maoïste membre du Mouvement Révolutionnaire Internationaliste (MRI).

Ces camarades assument le principe de la " pensée ", tout en rejetant les années 1970 italiennes, et adoptent exactement, scrupuleusement, l'idéologie maoïste.

Le très grave défaut de cette interprétation à la jésuite est qu'ils/elles ne font qu'accepter la façade idéologique de façon gauchiste et suiviste [vis-à-vis du PCP et du TKP(ML)].

On comprend donc que Rossoperaio soit incapable de saisir les efforts des camarades contribuant à la fondation du (n)PCI.

Néanmoins, force est de constater que, comme les br-pcc, Rossoperaio possède une richesse d'expérience certaine. La lutte contre le racisme et le patriarcat est reconnue et soutenue, elle est présente dans l'idéologie mise en avant, profitant de l'expérience du PCP. Il est impossible de nier cela.

Il faut que les camarades de France suivent attention ce qui se passe en Italie, car de l'évolution pratique de l'avant-garde il y aura beaucoup de leçons qui ressortiront.

Plus riche et plus confus, le mouvement communiste d'Italie développe une expérience qu'il est impossible de négliger. Si le (n)PCI se développe, cela signifie que la thèse d'une reconstruction générale est correcte.

S'il se plante, cela signifie qu'il a nié de manière formelle et non dialectique le parcours historique des années 1970, qu'il a été incapable de l'assimiler malgré l'interprétation critique (voire : à cause), et qu'à ce niveau tout est à refaire.

Pour ceux et celles qui en France veulent que le mouvement sorte du marais où il est embourbé, porter son attention là-dessus est fondamental.