ENQUÊTE SUR LES MAOS EN FRANCE

GEORGES O.


GEORGES. - J'ai vingt-sept ans. J'ai été à l'école et, à quatorze ans, j'ai commencé à travailler comme apprenti dans l'électricité.

J'étais au P.C. Je suis entré aux Vaillants, ils appelaient ça les pionniers.

C'était pendant la guerre d'Algérie; il y avait de l'agitation, on a bombardé la préfecture avec des boulons, des chaînes à vélos.

A la Chambre de Commerce il y a eu un mouvement de femmes important.

C'était en 54. Leurs maris étaient rappelés à l'armée, et les femmes s'étaient couchées sur la voie pour que le train ne parte pas.

Il y a eu une manifestation et un commissaire de police s'est fait lyncher.

Mais, au P.C., ils ne s'occupaient pas de nous : on dégénérait, on était des voyous, on faisait quelques casses et des trucs comme ça.

Le P.C. nous disait : " Faites gaffe, on vous prend pour des voyous ", mais il n'y avait pas d'activité politique, il n'y avait rien.

On avait monté un orchestre, tellement on s'emmerdait.

Après, j'ai travaillé, j'ai fait l'armée. Je suis revenu de l'armée et j'ai vu sur le journal qu'ils embauchaient pour Citroën. J'ai écrit, et un mois après ils m'ont répondu.

Alors je suis venu à Citroën.

J'habitais dans un foyer Citroën à Sèvres. J'y ai passé deux ans. Je suis entré au P.C. de nouveau.

Puis il y a eu Mai 68.

D'abord il y a eu la révolte des étudiants, on n'était pas encore en grève, nous, la lenteur tout ça... mais ça discutait dans l'usine, les jeunes voulaient aller sur les barricades, et le 20 mai la C.G.T. a dit : " Bon, on va faire une grève.

On va essayer, quoi! "

On a occupé.

Et là, pendant l'occupation, j'ai rencontré le mouvement de soutien aux luttes du peuple.

Je naviguais d'un mouvement à l'autre.

J'allais voir les mecs du 22 mars, de la J.C.R.

J'ai oublié de dire que le 7 février il y a eu une manif antifasciste.

Nous y étions allés et le P.C. nous a vachement critiqués en disant qu'on était anarchistes, etc.

A ce moment-là, j'étais influencé par Guevara.

On en parlait dans les journaux comme de Régis Debray.

J'avais acheté son bouquin : Révolution dans la Révolution. Bon, là, le P.C. n'était pas d'accord.

Mais c'est au moment de la grève que les contradictions ont éclaté. Tous les jeunes étaient pour aller sur les barricades.

On était beaucoup de jeunes au P.C. On a vu les maoïstes de l'époque : l'U.J.C.M.L.

On a pris contact avec eux, on a vu que leur travail n'était pas mal, on a travaillé avec eux, on a fait monter l'autodéfense.

C'était mettre des caisses, faire plusieurs barricades avec des caisses de boulons, à l'intérieur des usines.

Comme ça si les flics attaquent, on tient une barricade.

Si on ne peut pas la tenir, on prend l'autre.

Il y avait dés lances à incendie. On avait préparé les fours à peinture.

Au cas où on aurait été débordés par les C.R.S. on les entraînerait dans les fours à peinture et on les arroserait...
Les communistes gueulaient.

Alors, une fois on a fait une manif dans l'usine.

On n'était pas vraiment nombreux, peut-être deux cents.

C'était le groupe de permanence, et certains délégués.

On a crié : " La majorité c'est nous " et : " A bas les capitulards ", alors, trois ou quatre délégués ont dit : " Si c'est comme ça, on s'en va. "

C'étaient les délégués du côté P.C. qui s'étaient démasqués.

Ils se sont barrés chez eux parce que ce jour-là, l'usine était pratiquement à nous.

La première fois que j'ai vu des étudiants, c'était le 3 mai, à la manif de Saint-Michel. J'ai assisté à la première bagarre. Je me suis dit : " C'est bien, ça, ils se battent. " On était tous antiflics.

On disait : " Les flics, c'est des fainéants. "

Moi, j'avais huit, neuf ans, mes parents m'emmenaient dans des meetings.

Des fois, il y avait de la frappe avec des flics.

En plus, quand on faisait des casses, on allait toujours au commissariat, les flics nous tabassaient.

Dans la jeunesse ouvrière, il y a toujours eu la haine des flics.

Le chef du foyer de Citroën était un ancien adjudant de la légion.

On te fait faire le lit plié en quatre le matin, comme à l'armée.

Et à table, on n'a pas le droit de parler... Dès qu'il y en a un qui gueule un peu trop fort, le légionnaire faisait venir les flics.

Un vrai salaud.

On devait recevoir ses copains ou sa famille devant la porte, sur le trottoir.

Quand on a un avertissement au foyer, on a un avertissement à l'usine, pour désobéissance au chef, comme à l'armée!

Quand on s'embauche, on nous donne le règlement : on a le droit d'être au foyer pour six mois, mais on peut y rester des années et des apnées.

C'est un coup de chantage, parce que, si ça fait plus de six mois, quand on fout un peu de bordel, on peut nous vider.

Alors on s'écrase, on ne dit plus rien.

Des chambres, en ville, il faut six à huit cents francs pour y entrer.

Pour les agences, il faut donner trois mois d'avance, on ne les a pas!

Pour le foyer, on n'a rien à donner, on nous le retient sur la paie.

Il y a des chambres où on est vingt-quatre!

Celle où j'étais, on était huit.

Vingt-quatre, ce sont les Yougoslaves.

Ils les parquaient! Ils en avaient foutu vingt-quatre ensemble dans des lits superposés et chacun devait verser 17 000 francs.

Il y avait quatre ou cinq douches pour trois cents mecs.

Extérieurement, il est joli le foyer, repeint à neuf, régulièrement.

Mais quand on rentre dedans, c'est dégueulasse.

La télé, on l'a, quand le chef a envie de l'allumer, sinon on ne l'a pas.

Il y a un terrain de volley derrière, mais si le chef n'a pas envie de donner le ballon, il ne le donne pas!

L'usine, c'est bien au point de vue camaraderie, mais au point de vue travail...

Ça allait vachement vite le travail.

Il fallait faire vingt-trois voitures de l'heure.

Ce qui donne envie de se révolter, c'est les chefs, les agents de secteur, etc.

Il y a plusieurs polices à Citroën : la police espagnole, grecque, toutes les polices.

Ce sont des gens qui sont policiers dans leur pays, on les embauche soi-disant pour jouer le rôle d'interprètes.

Ça fait plus social.

On importe à la fois les ouvriers et la police, sous le nom d'interprètes.

Pour les Français, le policier, c'est l'agent de secteur.

Il y a des moments où, quand une chaîne gueule, tous les ouvriers se mettent à gueuler.

Quand ça se calme sur une chaîne, c'est une autre qui gueule.

Certains gueulent sans savoir pourquoi, seulement parce que le copain a gueulé.

Quand au premier étage il y a quelque chose, une vis qui ne veut pas se visser ou un pare-brise qui se casse, les mecs gueulent, et le rez-de-chaussée gueule aussi parce qu'il entend gueuler en haut.

Les ouvriers gueulent quand les vis refusent d'entrer ou quand les pare-brise se cassent parce que ça retarde la chaîne.

Les chefs arrivent, c'est de l'argent foutu en l'air.

Souvent l'ouvrier est pénalisé.

On lui retient 10 % sur la prime de production.

C'est rare, le mec qui à la fin de la semaine n'a pas 80 % de sa prime qui saute.

Pour manger, on n'avait droit qu'à une demi-heure, et les selfs sont très loin.

Il y a une queue incroyable, il faut manger en dix minutes.

On nous faisait pointer à midi. Il y avait déjà la queue pour pointer et pour repointer.

Quand ça sonne, il ne faut pas être en train de pointer, il faut être à sa table.

On avait fait grève pour demander l'abolition des agents de secteurs.

C'était le seul truc de gauche de la C.G.T.

En 68, beaucoup de gens ont compris. Ils déchiraient leurs cartes de la C.G.T. Il est sorti d'autres forces : les syndicalistes prolétariens.

Au début, on était 120 sur 5 000 ouvriers.

Pendant la grève on est montés à 2 500.

Après la grève, on est revenus à 120 ou 90, mais le permanent du P.C. s'est fait sortir de l'usine par des Espagnols et des Grecs.

Il y avait le drapeau rouge et le drapeau bleu, blanc, rouge.

Le P.C. a ôté le drapeau rouge.

C'est là que le permanent s'est fait virer.

La C.G.T. avait signé des accords (soi-disant elle ne les a pas signés, mais elle les a signés!), les accords de Grenelle. Après ça, on voulait former une cellule prolétarienne à l'intérieur de la C.G.T.

On s'est appelé " Comité d'Action ".

Je ne savais pas à ce moment, que j'étais maoïste. J'avais lu le livre rouge.

Je disais : " C'est pas mal ", mais je ne voyais pas comment on pouvait s'appuyer sur le livre rouge.
Je découvrais la violence.

Remarque, il n'y avait pas que les maoïstes qui étaient violents!

Mais leurs idées choquaient.

Par exemple, c'était la première fois que j'entendais parler de dictature du prolétariat.

Au début, je faisais un rapport avec la dictature fasciste!

Pourtant, j'étais au P.C.

Mon père aussi.

Il me disait : " Quand les ouvriers géreront les usines ", et tout ça, mais il ne m'avait pas parlé de dictature du prolétariat.

Mon père n'était pas d'accord avec ce qui se passait en Russie.

Il a fini par rompre avec le P.C. Alors, il n'en parlait plus.

Moi, tout ce que j'avais, à ce moment-là, c'était la guitare électrique.

Les trotskystes sont venus aussi.

Mais ce qu'il y avait de différent avec les maoïstes -je ne l'étais pas à ce moment-là - c'est que les trotskystes sont arrivés avec un tract : " Les ouvriers sont exploités, parce que..." - citation de Marx, Le Capital, telle page.

C'était vachement théorique, on y comprenait que dalle!

A l'inverse les maoïstes partaient de ce qu'ils nous avaient demandé.

Eux, ne savaient rien, avant qu'on leur parle.

Ils ne sont pas venus avec des idées et des tracts.

Ils ont écouté ce qu'on disait et, de ça, ils ont fait un tract.

Ça nous avait vachement frappés.

Même la C.G.T. ne faisait pas ça.

Nous, les syndicalistes prolétariens, on avait sorti, chez Citroën, un journal, Le Drapeau rouge.

J'en ai gardé un numéro. On parlait un peu de Mao, on parlait de Lénine.

Je savais qu'il avait fait la révolution en 17.

J'avais entendu parler de Marx, mais pas d'Engels.

Je connaissais Staline.

Quand je suis entré aux Vaillants, il y avait encore Staline, il est mort dans l'année.

J'étais à l'enterrement de Staline, qui était bien, vraiment bien.

Une grosse manifestation, vingt-quatre heures de grève, de débrayage.

Tous des foulards rouges en l'honneur de Staline.

Les étudiants m'ont expliqué qu'il fallait que la violence soit guidée par quelque chose.

On a commencé des réunions politiques dans le XVe.

Dans des salles qu'on louait.

En Mai 68, on faisait plutôt la pratique, pas la théorie. Les maoïstes disaient : ce Ce qui est juste, c'est de se battre. Si on ne fait rien contre les patrons, on n'aura rien. "

On était tous d'accord.

Pas la peine d'avoir lu Lénine pour savoir qu'on est exploités!

Avant Mai 68, le mec qui en avait marre, il prenait un marteau et il le balançait dans la gueule du chef!

Le type allait à l'hosto et le mec était vidé!

Il y en avait tous les jours des actions comme ça.

Des cassages de gueule! Mais il fallait en faire une lutte organisée. On ne savait pas comment s'y prendre.

Je me disais toujours communiste.

J'avais adhéré à l'U.J.C.M.L.

Il n'y avait pas de cartes, ni rien, mais je défendais les idées de l'U.J.

Après j'ai été vidé de Citroën.

J'ai continué à voir les étudiants, à aller à des réunions.

J'y croyais de plus en plus.

On avait deux réunions, une réunion avec la cellule, le noyau de l'U.J. Deux étudiants pour quinze ouvriers.

On parlait de l'usine, simplement de l'usine.

En plus, on faisait des exposés, on lisait un livre, on en discutait avec les copains, qui étaient ouvriers, qui n'avaient pas lu ce livre.

Par exemple, Lénine.

J'avais du mal au début, mais ça venait, on ne le faisait pas tout seul.

On se mettait à trois gars.

Avec les idées de tous les trois, on savait à peu près ce qu'il y avait dans le livre.

Chacun retenait des choses différentes.

On l'avait fait aussi sur le Manifeste du Parti Communiste.

Il y avait aussi des réunions de masse plus larges.

Les sympathisants, qui ne pensaient pas tout à fait comme nous mais qui nous soutenaient, qui ne voulaient pas être dans notre organisation, mais qui étaient là quand on faisait une action.

Ça a duré jusqu'en octobre.

Là, il y a eu deux tendances.

Ceux qui disaient : " On a fait des erreurs au mois de mai parce que les théories des syndicalistes prolétariens étaient erronées.

On ne peut pas faire la Révolution. Étudions d'abord dans les Oeuvres.

Faisons notre Parti et après on ira voir les ouvriers pour qu'ils rentrent au parti. "

Nous avons combattu cette tendance.

On disait qu'un parti se faisait dans la pratique.

Eux se terraient sur un bouquin de Lénine, Que faire?

Nous, on partait de Mao (encore des histoires de bouquins!) sur la guerre de partisans.

On commençait à lire des trucs sur la révolution culturelle.

Ça commençait à aller bien du point de vue du maoïsme, on comprenait mieux : " Le pouvoir est au bout du fusil ", on disait : " Voilà, c'est ça! "

J'ai essayé de faire du travail politique, j'ai déménagé, j'ai habité à Saint-Maur, ça n'a pas été positif.

On a fait une vente de journaux sur le marché Saint-Maur, des collages, des bom-bages.

Ma femme est allée s'établir en usine.

Elle était une étudiante des Beaux-Arts, ce n'était pas une ouvrière.

Je l'ai connue en Mai.

Elle a fait du travail assez bon dans sa boîte, elle vendait La Cause du peuple.

Moi, j'étais submergé par les étudiants. Il y avait la Faculté de Vincennes à côté.

Tous les groupes venaient me trouver parce que j'étais un ouvrier.

J'en avais marre.

Je devenais sectaire envers eux.

Ils sortaient des mots vachement impossibles, sorbonnards.

Ils ne regardaient pas qu'il y avait des immigrés ou des gens comme ça qui avaient du mal à comprendre.

Mais, à ce moment-là, il y a eu la Gauche Prolétarienne avec une pratique plus juste.

On était trois ouvriers quand ça a démarré.

On s'est dit : on va faire de la propagande, on va être actifs dans l'usine.

On avait piétiné deux mois sur l'idée du syndicalisme rouge.

Après ces deux mois, cinq ouvriers de Bordeaux sont entrés à la Gauche, dont un ancien secrétaire général de la C.G.T.

Ils disaient : " II faut rompre avec le syndicalisme, parce que c'est toujours des revendications.

On s'emmerde là-dessus. "

II n'y avait pas de dirigeants nommés.

Les mecs qui étaient les plus actifs, qui avaient le plus d'idées, dirigeaient plus que les autres.

Est-ce qu'on peut appeler Geismar un dirigeant, je ne sais pas! Il avait pas mal d'idées.

Avant de faire une action, il nous demandait notre avis.

On en discutait dans les usines.

Si on trouvait l'action juste, on la faisait.

Si on la trouvait sans intérêt, on disait : " Ça n'est pas la peine de la faire. "

Argenteuil, c'était encore une étape.

On se battait pour les gens du bidonville.

On est allés combattre les révisos chez eux, sur leur terrain. Ça a été un carnage.

Au début, on a peur. Après, dans le combat, on n'a plus peur.

Le maoïsme, ça veut dire la libération du prolétariat.

Les maoïstes sont les vrais communistes.

En France, ça se fera par une alliance de classes.

On n'imposera pas, on n'est pas des staliniens! ça n'est pas comme du temps de Staline, bien que j'aimais bien le Père Joseph!

Là où j'ai compris que Staline avait vraiment fait une erreur c'est en lisant : Les Contradictions au sein du peuple, de Mao.

La petite-bourgeoisie ne comprend toujours pas.

Ce n'est pas en fusillant qu'elle comprendra.

Il faut lui faire comprendre, et pas par un bourrage de crâne.

On lui fait comprendre petit à petit.

C'est un travail très long, mais il faut le faire.

C'est la grosse erreur de Staline.

Il en a fait d'autres certainement.

D'après moi, la seule chose qu'il ait faite de bien, c'est de signer le pacte germano-soviétique, parce que la République soviétique était encore faible du point de vue armement.

Ça a fait reculer la guerre contre la Russie, ça lui a permis de s'armer.

C'était une tactique militaire vraiment bien.

On ne peut pas dire que dans une usine il y a ce beaucoup " ou " pas beaucoup " de maoïstes.

Ce qui compte c'est l'influence que peut avoir un maoïste à tel ou tel endroit.

A Renault, dernièrement, dans l'île Seguin, il y avait un maoïste sur une chaîne.

Il a fait débrayer deux mille ouvriers...

C'était le 22 janvier dernier.

Le procès de La Cause du peuple a regroupé aussi pas mal de monde.

Il y a eu des bagarres de rues et des groupes de jeunes de Renault qui se sont formés.

Certains disaient : " On va faire la fête dans l'usine. "

On a apporté des fusées, des pétards, des feux de Bengale. On les a allumés.

Les pompiers sont venus.

C'est V.L.R. [Vive La Révolution] qui était pour la fête.

Moi je suis contre la fête à tout prix.

Le 13 juillet, par exemple, ils ont apporté des casse-croûte aux travailleurs au lieu de laisser les travailleurs piquer eux-mêmes leurs sandwiches.

Les travailleurs n'ont pas besoin de cadeau.

Ils ont besoin de s'unifier dans l'action.

Mobiliser les masses, ce n'est pas du baratin.

Ce n'est pas : " Venez tous à la Bastille, vous aurez plein de nanas. Ouais, défoncez-vous, c'est vachement bien. "

Moi je trouve ça aberrant et honteux.

C'est se foutre de la gueule du peuple.

Maintenant, j'ai un moral incroyable.

Quand je faiblis, c'est parce que je suis trop fatigué.

Je milite après l'usine.

Dans l'usine aussi, mais la nuit il y a aussi du travail.

En ce moment, je bosse dans une petite usine de banlieue de sept heures trente à dix-sept heures trente, mais souvent je dors trois ou quatre heures par nuit.

Il faut se consulter les uns les autres pour apporter chacun les idées de la base, confronter les expériences.

De là, seulement, on peut prendre des décisions.

Partir de la base pour aller au sommet et repartir vers la base, c'est dans Mao.

La phrase de Mao qui est la plus importante pour moi, c'est : " Servir le peuple. "

Ça ne veut pas dire me servir moi-même parce que je suis du peuple. Je ne suis qu'un minuscule morceau du peuple.

Quand on dit ça, on pense à la grande majorité du peuple.

Il y a aussi : " Les réactionnaires sont des tigres en papier. "

Quand la répression se renforce, il faut penser à cette phrase-là.

Les réactionnaires sont forts en apparence mais faibles en réalité.

On peut convaincre qui on veut sur ce point-là parce que les réactionnaires sont une poignée de gens, et le peuple, une force immense, s'il est uni.

Le tout, c'est de l'unifier. Contre l'impérialisme américain, on unit les masses. Contre la police, on les unit, alors pourquoi pas contre autre chose? Bien sûr, ça ne se fait pas en trois ans.

En Chine, ils ont mis vingt-neuf ans pour la faire, la Révolution.

Les travailleurs immigrés sont une masse révolutionnaire.

C'est vrai qu'ils sont menacés et qu'ils ont peur mais s'ils ne se
sentent pas isolés, s'ils sont soutenus par toute l'usine, ils font des actions encore mieux que les autres.

Et pourtant, pour eux c'est encore plus grave.

Nous, on fait trois mois de taule ou six; eux, on les expulse. Bien sûr, ils ne bougeront pas tout seuls.

On ne prévoit pas les campagnes à mener. Elles viennent d'elles-mêmes.

C'est ce qui fait la rupture entre le révisionnisme et le maoïsme.

Même si, apparemment, tout revient en place après une action, ça laisse toujours des traces.

Même si on se fait vider.

Après notre vidage, des comités se créent de partout.

La perspective de la Révolution, ça change la vie, ça rend moins égoïste.

On est obligé de se transformer. Si un mec me demande quelque chose et que je l'envoie balader, il dira : " C'est ça, c'est un mao. "

II faut faire gaffe, on a des comptes à rendre aux masses.

Parfois, c'est difficile. Parfois, je dors dix heures de suite. Il y a des moments où je voudrais être tranquille mais je me dis : c'est la Révolution qu'il faut faire d'abord.

J'ai l'impression que si une sorte de Mai se reproduisait maintenant, ça se terminerait encore mal.

On est capables de provoquer les choses mais on n'est pas encore capables de les garder.

Le pouvoir ne viendra pas comme ça.

Mai 68 peut être considéré comme un échec mais les traces sont immenses.

Il y aura peut-être un autre échec et de nouveau des traces encore plus immenses.

Mon père, maintenant, il réfléchit de nouveau.

Avant il disait : " Liu Shao-chi a trompé les masses comme Khrouchtchev et il y en aura toujours un qui sera au pouvoir et qui trompera les masses comme Marchais. "

Alors, je lui explique la Révolution culturelle : " Les gars au pouvoir sont révocables par les masses.

Le Comité central est composé de délégués élus des communes.

Dans une réunion du Comité quand on n'est pas d'accord avec un délégué, on ne l'exclut pas, on lui fait faire de la pratique.

Si un maoïste est au pouvoir, il y vient dans l'esprit de "Servir le peuple ".

Sinon, il est critiqué. "

Les masses peuvent se tromper. Mao le dit.

Mais il faut centraliser les idées des masses, les rendre conscientes.

Les idées justes ne tombent pas du ciel.

On peut être ouvrier sans être exploité si on ne travaille pas pour une personne. En France, qu'est-ce qu'on sert? Le profit, le profit, le profit, le profit. Dans une société socialiste
on regardera l'homme.

Le président Mao dit que l'homme est le matériel le plus précieux.

Je ne sais pas si je verrais le socialisme en France.

Il n'y pas de raison.

Non, peut-être pas.

Il faudra se battre à mort.

Bien sûr, on aura certainement des pertes...

Mais ce n'est pas dit que...

Peut-être je le verrai, peut-être que je ne le verrai pas.

De toute façon, j'aurai servi le peuple.

16 mars 1971