
REVUE REVOLUTION
LES ÉTUDIANTS
FRANÇAIS ET LA CRISE DE L'UNIVERSITÉ BOURGEOISE
[Révolution, n° 4,
décembre 1963. Par Bruno QUEYSANNE, membre du Bureau National de
l'U. E. C. - extraits]
Bien que la participation du milieu étudiant aux luttes politiques
[en Europe] soit plus réduite que celle de leurs camarades des pays de
la « zone des tempêtes », nous pensons que leur intervention se développe
et va continuer de se développer.
Nous en voulons pour preuve l'action
des étudiants anglais contre l'armement atomique et, surtout, celle des
étudiants français contre la guerre d'Algérie et contre l'O. A. S.
Si l'on tient compte également de la situation de crise de
l'Université française, nous pouvons dire qu'il existe des
conditions objectives pour que le milieu étudiant dans sa
majorité entre dans la lutte contre le pouvoir capitaliste
et vienne prendre sa place dans le concert des forces révolutionnaires.
Nous pensons que l'examen de l'évolution de l'U. N. E. F.
est à cet égard très significatif.
C'est dans la lutte contre la politique colonialiste du gouvernement
gaulliste que l'avant-garde étudiante a su trouver une audience de masse.
La bataille pour la défense des sursis, le Congrès de Lyon et
la reprise des relations avec l'U. G. E. M. A. en avril 1960, la
journée du 27 octobre pour la paix en Algérie par la négociation avec
le G. P. R. A., puis, en 1961-1962, la bataille anti-fasciste contre l'O. A. S.,
furent les grandes étapes de l'orientation résolument progressiste de l'U.N.E.F.
Dans ces batailles des années 1960-1962, les étudiants se retrouvèrent
souvent aux côtés des travailleurs.
Ce fut l'occasion pour les
dirigeants de donner un souffle nouveau à la thèse élaborée à la
Libération l'étudiant comme « jeune travailleur intellectuel ».
Puisque la solidarité politique des étudiants et des travailleurs
avait été maintes fois démontrée, l'U. N. E. F. commença de se demander
si cette solidarité n'était pas plus profonde.
Et lorsque la guerre
d'Algérie fut terminée, tout le mouvement se pencha sur sa propre reconversion,
guidé par l'idée que l'étudiant joue un. rôle non négligeable dans la nation et
que c'était précisément ce «rôle » qu'il s'agissait de passer au crible.
La paix en Algérie, la défaite de L'O. A. S., apportèrent un immense
soulagement chez les démocrates français.
Il fut d'ailleurs fatal
à nombre d'entre eux.
L'U. N. E. F. se réveilla de ses années de cauchemar, sans trop
savoir où se diriger. Certes, le pouvoir gaulliste apparaissait comme l'ennemi principal.
Mais la critique de la politique coloniale n'avait pas été si radicale que les
structures économiques et sociales de la société en aient été mises en question.
Il apparaissait d'autre part que la seule «défense des intérêts
matériels » ne pouvait que renvoyer au corporatisme dont l'U. N. E. F.
s'était dégagée par sa lutte contre l'apolitisme.
Pour les syndicats ouvriers la question de la nature de
leur base ne se pose pas.
Le prolétariat par sa place définie
dans les rapports de production, par son mode de vie général, par
ses modes d'action, par son type d'idéologie, peut être rigoureusement déterminé.
Il n'en va pas de même pour la base du syndicat étudiant.
Si le milieu étudiant n'est pas une classe autonome, il doit néanmoins
se situer dans la structure de classes de la société.
Or, sa place dans les
rapports de production n'est pas historiquement fixe, elle évolue avec la situation
des classes moyennes et, plus particulière-aient, des «cadres » qui, de privilégiés
sous le capitalisme libéral, tendent à devenir eux aussi une « victime » sous le capital
monopoliste.
Le mode de vie des étudiants n'est
pas unifié.
Entre l'étudiant
qui vit dans sa famille et celui qui habite en ville, entre celui qui étudie
à Paris et celui qui travaille à Grenoble, entre l'étudiant en lettres et
l'étudiant en médecine, entre celui qui est entretenu par sa famille et
le boursier qui se livre au travail noir, etc., il y a tant de différences
qu'on ne peut trouver de caractère unifiant que dans le seul fait que tous
veulent étudier.
C'est à la non-reconnaissance de cette évidence : les étudiants
sont les gens qui étudient à l'Université --que l'on doit l'empirisme,
et le corporatisme passé de l'U. N. E. F.
En effet, le syndicat considéra
longtemps son milieu comme un agrégat de jeunes mal nourris, mal logés,
mal soignés, mal éduqués, mal distraits, et non comme l'ensemble des jeunes
qui veulent étudier.
Il faut bien voir que si le milieu étudiant est relativement
stable dans le temps, il n'en est pas-de même pour ses éléments.
Selon le type d'études et selon le degré de réussite, la durée de
la vie étudiante peut varier de deux à dix ans.
Autrement dit,
l'étudiant entre à l'université pour en sortir muni de connaissances ou
de diplômes (ce qui est différent) et non pour y rester.
La structure du
milieu étudiant est donc extrêmement mobile.
Cette mobilité est renforcée par
l'évolution de l'origine sociale des étudiants et par celle de la fonction sociale
de l'Université. Mais elle est d'autre part contrecarrée par la fixité des structures
de l'Organisation universitaire.
En effet,, l'origine sociale des étudiants n'est
plus en 1963 ce qu'elle était cinquante ou cent ans auparavant.
La proportion des étudiants issus des classes privilégiées (grande
bourgeoisie industrielle, oligarchie financière, propriétaire fonder, hauts
fonctionnaires et de façon moins générale profession libérale) a diminué au
profit de l'augmentation des étudiants issus des couches moyennes (petite bourgeoisie,
employés, petits et moyens fonctionnaires), tandis que l'augmentation du nombre
d'étudiants issus du prolétariat ou de la paysannerie pauvre reste très faible.
Autrement dit, il n'est plus vrai que les étudiants appartiennent dans leur
majorité aux .classes sociales privilégiées dominantes.
D'autre part, la fonction sociale de l'Université a elle aussi évolué.
Son rôle principal n'est plus de fournir les cadres dirigeants
de la société capitaliste, de l'appareil d'État ou de l'appareil économique.
Actuellement, étant donné le caractère toujours plus
technique des différents secteurs d'activité -- effet et
cause du développement des forces productives -- l'ensemble
des « cadres » ou «techniciens » de la société qui, dans leur
grande majorité, n'ont plus un rôle de direction mais d'exécution,
voient leur place dans les rapports de production passer
progressivement du côté de la bourgeoisie aux côtés des
travailleurs exploités.
Autrement dit, la fonction
essentielle de l'Université sous le capitalisme monopoliste
d'État (vers lequel la société française évolue) n'est plus
seulement de former une élite de direction, mais le nombre
de travailleurs intellectuels nécessaire à la marche d'une
économie où le travail dans tons les domaines est
toujours plus qualifié, plus «complexe».
Cette évolution de la nature du milieu étudiant, qui se
traduit par une augmentation considérable de ses effectifs,
et celle de la fonction de l'Université qui s'oriente vers un
type de formation de masse et non plus vers un type de formation
d'élite, se heurtent à la fixité des structures universitaires.
Par structures universitaires il faut entendre aussi bien
l'organisation matérielle de l'Université (nombre de places
disponibles et nombre de maîtres) que l'organisation pédagogique
(cours magistraux et passivité de l'activité étudiante).
Or, cette contradiction entre ce qui évolue (composition
du milieu étudiant, et fonction sociale de l'Université) et ce qui
reste figé (Organisation de l'Université) ne remet pas seulement en
cause les structures universitaires mais le contenu même de l'enseignement
dont elles ne sont finalement pas indépendantes.
Autrement dit, la crise de l'Université est de deux ordres matériel
et idéologique, et nous pensons que ce n'est pas le second qui est le
moins gros de conséquences.
En effet, le capital monopoliste
va être obligé de donner à l'Université les moyens dont elle ne
dispose pas actuellement et qui sont pourtant nécessaires au développement
de l'économie française selon les normes du capitalisme monopoliste d'État.
Il est donc possible, à plus ou moins long terme, que
la crise matérielle de l'Université soit surmontée par le capitalisme
lui-même (déjà cette année le budget de l'éducation nationale atteint
la règle d'or de Jules Ferry, c'est-à-dire 1/7 du budget total, qui
fut longtemps le cheval de bataille des « républicains »).
Mais ce qu'il ne peut enrayer, c'est la prise de conscience des
problèmes idéologiques de l'Université.
A moins que la
contradiction entre les aspirations des jeunes intellectuels
que sont les étudiants et les perspectives qui leur sont
offertes ne soit étouffée par un renforcement de l'hégémonie
de l'idéologie bourgeoise, alors il faut agir en direction
du milieu étudiant en considérant qu'il est un allié possible
du prolétariat, non seulement pour une hypothétique perspective
démocratique, mais bel et bien pour des objectifs socialistes et
révolutionnaires.
Ce qui caractérise l'activité des étudiants dans
l'Université française actuelle, c'est qu'elle est
une pure consommation.
Le rôle dévolu à l'étudiant
est d'emmagasiner des connaissances, d'accumuler une
qualification dont il se servira plus tard, lorsqu'il
entrera dans le cycle de l'activité adulte par excellence
la production.
L'étudiant reçoit un enseignement que des maîtres
lui donnent.
Tout au long de ses études, il n'a aucun
jugement à porter sur ce qu'il apprend.
L'examen n'évalue pas
le développement de ses possibilités créatives, mais la seule
fidélité à l'enseignement reçu.
On peut dire que la pédagogie
de l'Université actuelle repose sur une séparation radicale de
l'apprentissage et de la production ou de la recherche et que
l'activité des étudiants n'est pas un travail créateur, mais
une accumulation passive.
Or la passivité est bien un des traits caractéristiques
du comportement et de la mentalité du milieu étudiant.
L'attitude passive de l'étudiant vis-à-vis de ses
études résulte de son état de simple consommateur.
Et, comme tous les consommateurs de la société bourgeoise,
l'étudiant ne peut rien décider qui modifie et transforme l'objet
qu'il « consomme » pour en faire un objet qu'il s'approprie de façon
responsable.
L'étudiant est séparé de ses propres études.
Ce qu'il apprend est un état de fait à l'élaboration
duquel il ne prend aucune part.
En étudiant à l'université
bourgeoise, il apprend à être irresponsable non seulement par
rapport à son activité spécifique, mais par rapport à sa vie privée.
Sa situation irresponsable fait de lui un être assisté
dans tous les domaines.
Le coût de sa vie est truqué, par
rapport à celui des autres jeunes de son âge (repas à 1,20 franc,
logement pris en charge par l'État, ou la famille, bourses aux
plus défavorisés) parce qu'on n'envisage pas le problème de ses
ressources financières d'une façon radicale.
On préfère
« aider » l'étudiant, plutôt que lui donner les moyens de
vivre en fonction du travail qu'il fournit et de la fonction
sociale qu'il remplit.
Cette assistance éduque « sagement »
l'étudiant qui rend grâces à la société de sa sollicitude
envers lui et apprend ainsi un certain civisme qui n'est
rien d'autre que la servilité à l'égard de l'ordre établi.
Cependant cette situation de consommateur irresponsable
est par trop contradictoire avec les valeurs qui forment le
fond commun de l'enseignement universitaire.
Il faut bien que
le libre-arbitre cartésien, le scepticisme de Montaigne,
l'objectivité d'Auguste Comte, l'ironie voltairienne et
la «bonne critique » de 1789 s'incarnent quelque peu dans
la pratique étudiante.
Aussi de multiples soupapes de
sécurité sont-elles prévues.
Ainsi les chahuts, les monômes,
loin d'être réprimés, sont encouragés par les autorités.
Le bizuthage des classes de préparation aux grandes écoles,
l'esprit carabin « des étudiants en médecine sont autant de
compensations à l'extrême dépendance des étudiants à l'égard de
leurs maîtres » et autres «patrons» qui ne sont jamais que
l'expression renforcée de l'autoritarisme des structures et
du contenu pédagogiques.
Le folklore étudiant n'effarouche le
bourgeois que dans la mesure où celui-ci se rend compte qu'il
est un vieux et que le temps des fredaines est irrémédiablement
passé pour lui.
La société capitaliste, elle, est d'autant mieux
gardée que les étudiants chahutent davantage.
Il faut également
voir dans la séparation radicale entre travail universitaire et
loisirs mi moyen de faire de ces derniers, une réalisation des
aspirations à la liberté et à l'autonomie que sont brimées
pendant l'année universitaire.
Or celles-ci, lorsqu'elles sont
réalisées pendant les vacances, ne remettent plus rien en
cause puisque précisément les vacances sont le
temps où "l'on ne fait rien" en opposition à l'année
universitaire où « l'on a tout à faire ».
Mais c'est peut-être dans le culte de l'individualisme que
l'Université trouve son meilleur verrou de sécurité.
En effet; tout est fait comme si l'étudiant en
tant qu'individu unique était l'objet de tous les soins.
C'est à lui que s'adresse le professeur, c'est lui que juge l'examinateur,
c'est lui - qui rédige « son » diplôme.
Tout lui indique que c'est sa valeur
propre qui est considérée.
Il faut donc qu'il soit le meilleur, et il se
croit responsable de son destin lorsqu'il n'est qu'une bête à concours et à diplômes.
La façon même dont les études sont sanctionnées, apprend à l'étudiant à
accepter la loi de la jungle de la société capitaliste.
Collaborer est une faute:
cela s'appelle copier.
Chacun pour soi et Dieu pour tous, à
l'Université aussi cela est vrai.
Cette conscience individualiste qui se forge chez
l'étudiant au cours de ses années d'Université,
et dont l'ordre bourgeois profitera par la suite,
se trouve contre-dite par la vie de groupe qui
caractérise les structures universitaires.
En effet, si la réception de l'enseignement est sur-individualisée,
la diffusion en est sur-socialisée. I'enseignement est donné
massivement, sans nuance, sans tenir compte du niveau réel des
étudiants qui le reçoivent.
Pour le professeur l'amphithéâtre
de 500 étudiants n'est qu'une seule et même personne.
Les travaux pratiques qui devraient pallier à cet inconvénient
ne sont la plupart du temps que des petits cours magistraux pour
50-80 étudiants, si ce n'est davantage.
Aussi les problèmes de communication entre étudiants
sont-ils très graves. L'individualisme vient geler les
rapports humains et ceux--ci ne s'instaurent qu'en dehors
du cadre universitaire proprement dit.
Nous trouvons là
la raison de la multiplication des petites
sectes qui animent (sic) la vie étudiante.
Il y a les « militants », les « sportifs », les « artistes »,
les «polars » et bien d'autres encore.
Leur activité, voire leur activisme, ne fait que masquer
l'apathie du plus grand nombre, son manque d'une conscience
de solidarité. C'est peut-être la tâche la plus
importante du syndicat que de développer cette
conscience commune, cette unification consciente
du milieu étudiant.
Tant que la masse des étudiants
restera sous l'emprise des valeurs individualistes,
c'est-à-dire qu'elle ne remettra pas en question
les structures individualisantes de l'Université
bourgeoise, toute action en profondeur ne pourra être qu'épisodique.
Or cette contradiction entre individualisme
et pratique uniformisée, tient à la nature de l'Université actuelle.
Elle ne peut être résolue que par la destruction
des structures universitaires bourgeoises.
Autrement dit, toute amélioration du fonctionnement
de l'Université en fonction de l'intérêt des étudiants
ne peut se faire que contre cette Université.
Celle-ci peut se perfectionner pour
satisfaire davantage les intérêts de la
bourgeoisie, de l'organisation capitaliste de la société,
mais elle ne peut évoluer vers une satisfaction complète
de ses usagers qu'en passant par mi profond bouleversement
qui implique bien d'autres changements
que ceux des structures universitaires.
Si les étudiants ont de sérieuses raisons d'être mécontents
de l'organisation actuelle de l'Université, le capitalisme
monopoliste ne peut lui non plus se satisfaire de l'Université
libérale telle qu'elle existe encore en France.
Elle ne fournit
les travailleurs intellectuels dont il a
besoin ni en nombre ni en qualité qui répondent
aux besoins de son développement.
D'autre part, l'Université n'est plus le foyer où s'élabore
l'idéologie nécessaire à l'hégémonie de la classe dominante.
Ce rôle est dévolu dans la « société française aux multiples
cercles de discussions du type du club « Jean Moulin » qui
élabore réellement l'idéologie du « néo-capitalisme».
Autrement dit, l'Université libérale ne remplit plus sa
fonction sociale de formation de cadres, ni sa fonction
idéologique au service de l'hégémonie de la bourgeoisie.
On comprend alors que le pouvoir gaulliste se préoccupe au
moins autant que l'opposition démocratique de la Réforme de l'Université.
Un des principes de sa réforme, c'est de réconcilier l'université
et le monde moderne.
Et cela prend la forme des divers liens qui
s'établissent entre l'Université et la production.
Que cela soit
sous la forme de contrats entre laboratoires universitaires et
firmes privées ou publiques, sous la forme de stages toujours
plus fréquents d'étudiants-ingénieurs dans l'industrie, sous
la forme des centres hospitaliers universitaires qui rapprochent
études et pratique médicales, on assiste à la volonté consciente
de sortir l'Université de sa tour d'ivoire.
Cette politique se
traduit également par les choix budgétaires en faveur des
facultés de sciences au détriment des facultés de lettres.
De tout cela, il ressort la volonté de donner à
l'Université bourgeoise un contenu nouveau, en
accord avec le stade actuel de développement du
capitalisme français.
En d'autres mots, c'est
la transformation de l'université libérale eu
université technocratique.
Et lorsqu'on considère
l'orientation vers le « concret que le pouvoir
veut donner à l'Université en la rapprochant de
l'économique, et la valeur accordée aux études
scientifiques par rapport aux études de lettres,
on voit clairement se dessiner la mort de
« l'Université française », de la « culture générale »,
de «l'objectivité» du « prof de fac dans la lune ».
Pour la bourgeoisie, il est clair que l'Université
de la IIIe République a fait son temps.
Le capitalisme monopoliste a besoin de chercheurs
en grand nombre, de techniciens qui aient une culture
scientifique non encyclopédique mais adaptée aux
besoins nouveaux de l'économie et ces besoins,
l'Université traditionnelle ne peut les satisfaire.
D'où la multiplication des Instituts techniques
supérieurs régionaux liés aux entreprises économiques locales.
D'où la création de cycle court dans l'enseignement supérieur
parallèlement à un enseignement long qui va s'orienter
principalement vers la recherche.
D'où la diminution
globale de l'attention et des crédits accordés aux
facultés de lettres en même temps que l'augmentation
relative de l'importance accordée aux études dites
des « sciences humaines ».
En effet le capitalisme
contemporain n'a plus tellement besoin de « belles
âmes» que de «techniciens des âmes ».
Autrement dit, l'Université technocratique qui
se dessine actuellement, va non seulement modifier
l'enseignement en le modernisant (on commence à
introduire les mathématiques modernes dans l'enseignement
du secondaire) mais également les structures d'enseignement.
L'Université autonome va éclater, et l'économie va y
prendre une place officielle de plus en plus grande.
La création du Centre des sciences humaines appliquées
à la Faculté des lettres de Paris donne une idée de ce que sera
l'Université technocratique achevée.
Son président? M. Catin, délégué général des Industries textiles.
Ses vice-présidents? Mt Aymard, doyen de la Faculté
des lettres et sciences humaines de Paris, et M. de
Vogue, président de la Compagnie de Saint-Cobain.
Quant au conseil lui-même, il est composé de dix
universitaires, d'un syndicaliste (de la Confédération
générale des Cadres), et de onze représentants de
l'économie (de Pont-à-Mousson ou Confédération
nationale du patronat français, en passant par
Kléber-Colombes et France-Soir).
On peut prévoir qu'une telle organisation
va se donner une idéologie de « l'efficacité »,
de la « rentabilité ».
Au contraire du capitalisme
libéral, le capitalisme monopoliste ne trouve pas que
les études supérieures sont du « luxe ».
Elles sont pour lui une nécessité, et l'on comprend
alors qu'il veuille prendre en main l'Université
afin qu'elle cesse de batifoler et qu'elle commence
à lui rendre les services qu'exigent son développement
économique et le renforcement de son exploitation.
Il faut donc s'attendre à une modification de l'organisation
et du contenu de l'enseignement supérieur qui va s'accompagner
d'un accroissement des effectifs scolarisés.
Et puisque l'Université libérale a déjà fait le plein des
enfants des classes moyennes et, à plus long terme,
du prolétariat qui vont entrer à l'Université, l'Université
du néo-capitalisme sera une Université au recrutement nettement
plus démocratique que celui de l'Université libérale.
Et cela, non par philanthropie de la part du capital,
mais parce que la survie et ses nouvelles formes d'organisation l'exigent.
C'est dire que l' Université dans la société française
actuelle, dominée par le capital monopoliste, ne peut « évoluer»
vers un retour au passé, vers le paradis perdu du libéralisme.
Elle ne se développera que dans un sens technocratique qui augmentera
l'assise sociale de son recrutement, qui modernisera son enseignement
en même temps qu'elle le « technicisera », et qui établira des liens
très étroits entre l'Université et l'économie.
Il est évident qu'une
telle Université technocratique n'est inévitable que dans
la mesure où la nature de la société reste inchangée, ou
les besoins du capital restent la loi générale, où la bourgeoisie reste
la classe au pouvoir.
Autrement .dit toute réforme de l'Université,
si elle tient compte de la situation actuelle de la France, et si
elle se veut démocratique en gestation, non pas en prônant un
retour à l'Université libérale, mais en dessinant une organisation
qui tienne compte des problèmes posés actuellement et les résolve
d'une manière à satisfaire les besoins du peuple, entendu comme
l'unité du prolétariat et de ses alliés [Cela
pose le problème de l'unité anti-monopoliste qui
n'est pas l'unité des victimes des monopoles mais
celle des classes et couches sociales.];
C'est-à-dire que seule l'organisation socialiste de l'Université
peut être opposée à l'Université technocratique.
Par là,
nous entendons une université où le pouvoir est exercé par ses usagers
en fonction des intérêts nationaux déterminés par les travailleurs au pouvoir.
Défendre. l'université libérale, son indépendance
d'avec l'économie, son idéologie au-dessus des classes »
c'est faire le jeu des classes sociales les plus réactionnaires.
C'est freiner la prise de conscience politique des
milieux universitaires, c'est empêcher que leurs revendications
prennent un sens progressiste.
C'est proposer une «réforme» qui
soit un retour au passé et donc irréaliste et qui,
loin de contester les projets du capital, renforce la
valeur qu'ils peuvent prendre aux yeux des universitaires
(professeurs et étudiants) conscients de la crise actuelle
de l'Université française.
L'actuelle offensive
du « néo-capitalisme » ne doit donc pas être sous-estimée.
Si les forces révolutionnaires ne prennent pas l'initiative à
l'Université, la domination politique et idéologique de la
bourgeoisie y sera plus forte que jamais.
Dans cette lutte pour la conquête de l'hégémonie, elles doivent
se garder à la fois du poujadisme même s'il est de gauche,
de la défense des intérêts corporatifs et, d'autre part, des
illusions réformistes.
Elles doivent également veiller à
mener leur lutte en accord avec les autres forces
révolutionnaires du pays et, notamment, avec la classe ouvrière.
En effet, dans la mesure où la remise en cause de
l'Université met en question le pouvoir d'État ou
la bourgeoisie monopoliste d'État, les forces révolutionnaires
et plus largement les syndicats de l'Université ne peuvent
élaborer une stratégie efficace que dans la mesure où elle ne
concerne pas que leur terrain de lutte spécifique.
A la concentration du capital monopoliste, aussi bien dans
son organisation que dans ses attaques, les forces d'opposition
révolutionnaires doivent répondre par des luttes politiques décidées
qui posent à toutes ses phases le problème de la prise du pouvoir et la
nécessité de la dictature du prolétariat.
Or, pour l'instant, les forces révolutionnaires organisées
(P. C., U. E. C.) sont passives à l'Université.
D'une part, elles font du suivisme à l'égard des syndicats,
d'autre part, elles brandissent un plan Langevin-Wallon,
élaboré à la Libération, qui est remarquablement insuffisant
en ce qui concerne l'enseignement supérieur.
Cette attitude n'a pas été sans renforcer la faiblesse de
l'action des syndicats d'enseignants et les hésitations du jeune syndicat étudiant.
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